Rayon librairie
En cette époque quantitative si avide de best-sellers, de livres à sujets qui vous abêtissent, vous écarquillent l’entendement (les journaux s’en délectent), il serait peut-être bon d’aller voir du côté des ouvrages qui se faufilent silencieusement dans la cohue des titres. Ceux-là, romans, essais, poèmes, je les repère assez vite à cause du secret de leurs phrases, de la confidence chuchotée reportée de chapitre en chapitre. On entre dans un monde qui vous habite longtemps les yeux. Cela, pour moi, la littérature.
Avez-vous lu George Borrow ? Lavengro, par exemple , le maître des mots , édité par le remarquable éditeur qu’est José Corti, ou Le gentleman tzigane, ou La Bible en Espagne publié cette fois aux éditions Phébus ? Ces romans de l’errance dans l’Angleterre du XIXe siècle ? Dès leur première phrase on pénètre une région de l’âme où le sens pépie comme un oiseau, où l’on discute avec Dame Solitude, où l’on apprend les dialectes du vent et de la pluie, où l’on s’émeut de la basse continue des choses. La route que l’on suit prolonge les lignes de vos mains. Au prochain carrefour, se distribueront les cartes de votre destin,« dukkerin », dit-on en langage gypsy, car ce peuple du hasard habite les marges de ce qu’on vous conte.
Les ouvrages du magistral Borrow né en 1803, dans une ferme proche de East-Dereham (Norfolk), me servent souvent de table de nuit pour rejoindre mes songes. Il y règne un tel esprit d’aventure qu’on en reste confondu, affalé de bonheur longtemps après les avoir lus.
Quand je pense que hier un grand quotidien se demandait si l’on peut encore lire Boris Vian une fois adulte, les bras m’en tombent. Adulte ? Le mot fait sourire ! Une grande œuvre reste bien sûr toujours à lire et à relire. C’est le temps qui vous parle en personne. Et peut-on interrompre les parlers du temps ?