Agacements ou le critère de Panurge
Cette phrase hier dans un grand quotidien par ailleurs de qualité, cette phrase à propos de deux romans à succès, la voici texto :
Ils mettent en scène des personnages « vrais » (appréciez au passage les guillemets) dans lesquels tout le monde peut se retrouver.
Mais je ne me retrouve pas dans Don Quichotte, j’assiste à autre chose, à l’Espagne, je ne me retrouve pas dans Les Âmes Mortes ni dans La Fille du Capitaine, c’est la Russie qui m’égare. Car lire un chef d’oeuvre c’est se perdre, partir dans l’inconnu, explorer d’autres mondes et la phrase de l’écrivain (l’analogue du coup de pinceau pour le peintre) ouvre, engage le voyage. Lire alors, c’est desceller les gonds de l’inconnu, sortir, enfin respirer dans l’air libre du grand dehors.
Tout le monde, disent-ils, alors que la littérature c’est le rapport intime, personnel, avec des pages frappées de solitude, on ne devient pas seulement le personnage mais aussi la pluie qui s’entête au carreau, l’orage qui blémit l’horizon, que sais-je encore? Et cette autre bêtise, que j’appelle « le critère de Panurge », entendue quotidiennement sur une radio nationale où l’on s’amuse à classer les émissions de télévision suivant leur audience : Tant de moutons devant l’écran, à telle heure, excellent, pas un mot sur la qualité éventuelle de l’émission devant laquelle tout le monde bêle. La même chose pour les livres classés suivant le nombre d’exemplaires vendus. S’ils se vendent, c’est qu’ils sont excellents, n’est-ce pas ? On a envie d’invoquer les mânes de Flaubert, de Rimbaud, de Sainte-Beuve, de Vigny, etc. Curieuse époque. Là où tout le monde se précipite, pourquoi y aller ? Alors qu’une oeuvre véritable, c’est la singularité, l’esseulement de la beauté.