Le crime du beau temps
Manuscrit donné au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France
4e de couverture
«Tant d’années depuis cet improbable mystère ! Un matin de vacances, Clémence dix ans se penche à une fenêtre plus âgée qu’elle. À trois étages au-dessous de sa personne ensommeillée, quelques touristes, sac au dos, errent, flânent sur les quais d’un petit port breton à l’ancre depuis les commencements du monde. Le soleil perce d’un grand trou jaune le firmament immensément bleu. La mer, sachant que c’est dimanche et lasse de jouer son rôle éternellement écumeux, se satisfait d’énoncer quelques vaguelettes à peine lisibles. De jolis voiliers amarrés le long de la jetée frémissent jusqu’à la pointe de leurs mâts, pris par l’émotion d’un tel beau temps, rare en effet pour une fin février. Soudain… Pourquoi sur les quais ce subit mouvement de recul de la part de si paisibles promeneurs? Clémence qui rêvasse toujours à sa fenêtre n’en croit pas ses yeux. Pourquoi? se répète-t-elle, interdite. Faudrait-il qu’elle descende quatre à quatre l’escalier de l’hôtel des Embruns pour en savoir plus, apprendre de la bouche même de tous ces gens les raisons de leur trouble, de cette presque émeute? Ses dix ans hésitent…»
Michel Chaillou.
Extrait (début)
Préalables
C’est à la photo d’un magazine « people » entrevue dans la salle d’attente d’un dentiste que je dois l’infortune des pages qui vont suivre. Sans ce piètre cliché, ô combien fugitif, jamais cette intrigante histoire ne me serait revenue dans les yeux. Mais maintenant qu’elle s’y trouve, comment procéder pour l’en ôter, pour que ma vue récupère la tranquillité de sa ligne d’horizon ? C’était en effet hier, autrefois, jadis, naguère, un tas d’heures perdues, une flopée de secondes, de minutes qui étranglent la voix quand on y resonge. C’était exactement il y a vingt ans, je ne portais pas de lunettes alors, et mes cheveux encore s’ébouriffaient. S’ils ne s’ébouriffent plus, cela ne signifie nullement d’ailleurs que je sois vieille, quoique je fasse, à quoi bon vous le cacher, commerce de vieilleries. Mais ressemble-t-on nécessairement à ce qu’on rassemble ? bien que ces troublants événements que je me propose de vous rapporter et auxquels je fus dans mon enfance si intimement mêlée aient pris de la patine, cette couleur spirituelle que le temps inflige aux choses ? Or ne suis-je pas, de par mes fonctions d’antiquaire, plus à même que bien d’autres de pouvoir démêler le vrai du faux, l’original de la copie, et Dieu sait que des copies il m’en faudra noircir un nombre assez conséquent pour parvenir à relater dans tous ses infimes détours une si énigmatique affaire devenue, depuis l’époque où j’en fus à mon corps défendant le hasardeux témoin, une véritable antiquaillerie , réclamant pour être convenablement décryptée, appréciée à sa juste mesure un œil averti ? ….